Le monde contemporain est secoué par des lignes de fractures écologiques, sociales, politiques, économiques et numériques de plus en plus profondes et instables, face auxquelles les démocraties peinent à produire une parole audible.
Ces tensions globales sont en partie le miroir de la fragilisation des sociétés elles-mêmes. En France, le lien social s’effrite, rendant plus difficile encore toute réponse collective aux urgences. Si notre pays reste un espace de débat et de pluralisme, la défiance envers les institutions, combinée à l’impuissance perçue du politique, crée un climat de désengagement civique et de tension sociale. L’impasse parlementaire actuelle en est un symptôme parmi d’autres.
Erosion du tien social et méfiance généralisée
Plus préoccupante encore est l’érosion du lien entre les citoyens eux-mêmes. Selon le Baromètre 2025 de la Fraternité de l’lfop, 77 % des Français estiment devoir faire preuve de vigilance face aux autres (un chiffre en hausse de 15 points depuis 2019). Cette méfiance généralisée ne relève pas seulement d’un climat politique tendu mais traduit une transformation plus profonde des relations sociales : l’individualisme progresse, la solitude s’installe, en particulier chez les jeunes, dont 40 % déclarent aujourd’hui souffrir d’isolement chronique.
De plus, le numérique reconfigure et souvent fragilise nos liens sociaux. Longtemps célébré comme un outil d’émancipation, d’ouverture, de mise en réseau, le digital s’est révélé être à double tranchant. L’espace numérique a vu s’accroître la violence symbolique : le débat s’y polarise, les logiques d’algorithmes y enferment les individus dans des bulles de confirmation, et la conflictualité y devient un mode d’expression dominant. L’essor de l’intelligence artificielle générative complexifie encore cette évolution : si cette technologie peut faciliter l’accès à l’information et enrichir les échanges, elle peut aussi brouiller la distinction entre le vrai et le faux.
L’idéal du vivre ensemble perdure
Malgré ces défis, la volonté de créer une société apaisée et inclusive demeure : le baromètre 2025 du Vivre ensemble d’OpinionWay pour le Groupe SOS, indique que 77 % des Français estiment que le vivre-ensemble est un projet essentiel pour la France et placent le vivre ensemble comme une valeur essentielle, devant l’égalité, la liberté individuelle ou encore le respect des traditions. Dès lors, pour atteindre cet idéal, nous devons nous doter d’une méthode pour recréer du dialogue et de la cohésion.
Nous croyons que refaire société et créer du vivre-ensemble nécessite de fonder nos débats sur un socle commun : celui des faits, de la preuve, de l’impact mesuré. Si nous ne partageons pas les mêmes opinions, nous devons a minima pouvoir regarder les mêmes données, baser nos débats sur une vérité objective et partagée. Evaluer rigoureusement les effets des politiques publiques, des décisions économiques ou des projets sociaux permet de créer un langage commun entre citoyens, chercheurs, élus, entreprises, et ainsi rend possible un débat éclairé, où les divergences d’opinions ne sont pas synonymes de schismes irréconciliables. Dès lors qu’elle se base sur des indicateurs clairs, coconstruits et transparents, la mesure d’impact peut et doit devenir un ciment de la cohésion sociale.
La mesure d’impact, un facteur de cohésion
Fonder nos débats et notre cohésion sur la mesure de l’impact social, écologique et économique de nos actions collectives suppose un changement de méthode : il faut rassembler autour de la table, pouvoirs publics, entreprises, associations, fondations, chercheurs, citoyen. Il faut faire converger les savoirs, des sciences sociales à la climatologie en passant par l’économie.
Il faut affirmer haut et fort que la vérité n’est pas une opinion comme une autre, reconnaître que le bien commun ne peut être défini sans preuve et que l’action publique ne se renforce que lorsqu’elle s’évalue. Ce travail, rigoureux et patient, à rebours des postures et des slogans, est indispensable. Dans tous les domaines de la vie sociale et économique (emploi, attractivité économique, éducation, logement, santé, famille, solidarités, lutte contre les exclusions, climat et biodiversité) nous croyons que la mesure d’impact doit servir de boussole et alimenter la prise de décision.
« Refaire société » en s’engageant pour la diversité
C’est à cette condition que nous pourrons « refaire société » et créer un modèle de vivre- ensemble. Un modèle qui, sans nier les tensions, cherche à les contenir par les faits, un discours de preuves et une réelle volonté de solidarité. Un modèle qui refuse la brutalité des replis identitaires ou la logique du bouc émissaire, qui concilie développement économique et protection sociale, qui reconnaît que l’unité ne se décrète pas, mais se construit, jour après jour, à travers les liens que nous choisissons de préserver, d’étendre, et de réparer. Saluons ici les entreprises qui, ayant mesuré concrètement la création de richesses qu’apportent l’inclusion et la diversité et conscientes de leurs responsabilités, continuent à multiplier les pratiques internes (notamment de recrutement) en ce sens et de s’engager auprès des associations et fondations, malgré un contexte international marqué par des replis identitaires et une remise en cause des politiques de diversité.
Si la mesure d’impact nous apparaît comme nécessaire pour recréer du vivre-ensemble, nous savons qu’elle n’est pas suffisante : l’exemple du dérèglement climatique, mesuré par l’ensemble de la communauté scientifique depuis des décennies, mais peinant à se traduire par des avancées majeures en faveur de la protection de nos écosystèmes, est un avertissement. Néanmoins, nous croyons que la mesure d’impact rend possible l’émergence d’un consensus, qui entraîne des propositions concrètes, une dynamique d’actions à impact positif sur le collectif, une dynamique essentielle pour notre économie et pour refaire société.