« Quand l’IA parle à nos enfants, qui les écoute encore ? »

Les enfants français passent en moyenne près de quatre heures par jour devant un écran, un temps qui a doublé en dix ans, selon la Commission « Enfants et écrans » mandatée par le Président de la République en 2024. Les conséquences sont multiples : troubles du sommeil, sédentarité, fatigue visuelle, mais aussi fragilisation du langage, de la concentration et du lien social.
« Quand l’IA parle à nos enfants, qui les écoute encore ? »
Date de publication : 19 novembre 2025

Par Stéphane Junique, président du Groupe VYV et VYV3

Les enfants français passent en moyenne près de quatre heures par jour devant un écran, un temps qui a doublé en dix ans, selon la Commission « Enfants et écrans » mandatée par le Président de la République en 2024¹. Près d’un sur deux, avant 6 ans, utilise déjà un smartphone ou une tablette, souvent sans l’accompagnement d’un adulte. Les conséquences sont multiples : troubles du sommeil, sédentarité, fatigue visuelle, mais aussi fragilisation du langage, de la concentration et du lien social.

La Commission appelle à une « majorité numérique » à 15 ans et à une vigilance accrue des parents comme des institutions. Ces constats dessinent une urgence : s’assurer que l’usage de l’IA respecte des principes éthiques pour optimiser son impact bénéfique, tout en réduisant ses risques et effets indésirables, particulièrement sur le lien entre l’enfant et l’adulte.

Les enfants d’aujourd’hui grandissent dans un monde saturé d’écrans, de notifications et désormais d’intelligences artificielles, qui leur parlent comme des amis. Ces technologies promettent la connaissance, le jeu, la compagnie, mais elles modèlent aussi, en profondeur, la construction émotionnelle, sociale et cognitive de ceux qui les utilisent sans garde-fou.

Entre 2020 et 2022, le nombre d’adolescents en France présentant des symptômes dépressifs graves a doublé². Et 44 % des Français estiment qu’il existe un risque fort de dépendance à l’IA³. Ces chiffres ne disent pas seulement notre inquiétude : ils traduisent un déséquilibre collectif entre fascination technologique et fragilité psychique.

Le numérique n’est plus seulement un outil. Il devient un milieu de vie. Et dans ce milieu, la santé mentale des plus jeunes est en première ligne.

L’addiction a changé de visage

Pendant des années, nous avons cru que le problème se limitait au « temps d’écran ». Aujourd’hui, le risque n’est plus seulement quantitatif, il est relationnel. Un nombre croissant d’enfants développent des formes de dépendance non pas aux écrans, mais aux interactions artificielles : avatars, assistants vocaux, jouets connectés, applications conversationnelles.

Quand un enfant confie ses secrets à une IA qui répond avec bienveillance, mais sans émotion réelle, c’est une frontière éducative qui vacille. Nous devons le dire avec lucidité : l’intelligence artificielle n’est pas un substitut relationnel.

Éduquer sans diaboliser, accompagner sans renoncer

Interdire les écrans ou diaboliser l’innovation serait illusoire et contre-productif. Les jeunes investissent le numérique comme un espace d’expression, de création et de lien. Notre responsabilité d’adultes, de parents, d’éducateurs, de soignants est de les y accompagner, non de les en exclure.

Cela suppose de leur apprendre à comprendre les algorithmes qui façonnent leur attention, à reconnaître les manipulations émotionnelles des interfaces et à reprendre le contrôle de leur temps, de leurs données, de leur pensée critique. La prévention doit être collective : familiale, scolaire, institutionnelle et citoyenne.

Les questions posées par l’intelligence artificielle ne relèvent pas uniquement du numérique ou de l’éducation : elles touchent au cœur de la santé publique. Les troubles du sommeil, de la concentration, de la socialisation ou de l’estime de soi que les soignants observent chez les plus jeunes ne sont pas déconnectés de leur univers digital.

Dans son essai « Peut-on confier notre santé mentale à une machine ? », Thibaud Dumas, docteur en neurosciences cognitives, rappelle que si les IA peuvent aider à détecter ou accompagner certains troubles, elles ne peuvent remplacer le lien humain, qui reste le socle du soin psychique⁴. Il souligne que « le lien social est peut-être le paramètre le plus puissant de notre santé mentale ». Un lien à préserver comme un bien commun.

Nous entrons dans une ère où les enfants dialogueront avec des machines plus souvent qu’avec des adultes. Il ne s’agit pas de condamner cette évolution, mais d’y inscrire un cadre éthique et éducatif clair : s’assurer que dès leur conception, les IA enrichissent le monde des enfants sans les couper de la réalité ni des autres.

Protéger la santé mentale des enfants, c’est défendre un droit fondamental : celui de grandir parmi des voix humaines. Si nous laissons l’IA leur répondre à notre place, ils apprendront à parler à des miroirs. Mais dans ce nouveau monde bavard, saurons-nous encore leur tendre une oreille vraiment humaine ?

 

Commission « Enfants et écrans », Rapport au Président de la République, Vie-publique.fr, 2024 Santé publique France, Baromètre Santé 2023, données sur la santé mentale des adolescents IPSOS pour CESI, L’usage de l’intelligence artificielle par les Français, 2025 Thibaud Dumas, Peut-on confier notre santé mentale à une machine ?, FLAASH, 2024

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