En quoi la santé mentale des jeunes est-elle spécifique par rapport à la santé mentale dans son ensemble ?
Samuel Galtié :
La santé mentale des jeunes évolue dans un contexte particulier. Il faut d’abord rappeler que la crise sanitaire liée au Covid-19 a fortement marqué cette génération. Par ailleurs, les jeunes sont exposés à une accumulation de tensions : crise écologique, instabilité politique, guerres… autant de facteurs qui pèsent directement sur eux et les affectent. Enfin, la question des modalités de prise en charge est centrale : il faut favoriser une meilleure intégration de la santé mentale dans leur parcours de vie en s’efforçant de prendre en charge tous les déterminants qui concourent à une bonne santé mentale.
Denis Mathieu :
On observe aujourd’hui de véritables fractures générationnelles. Les difficultés sociétales que nous connaissons aujourd’hui se sont manifestées presque simultanément, marquant fortement les jeunes de 15 à 30 ans. À cela s’ajoute la révolution technologique : l’importance des réseaux sociaux et l’arrivée de l’intelligence artificielle créent une rupture entre ceux qui grandissent avec, et les générations précédentes. Le problème n’est pas l’IA en soi, mais le décalage entre des jeunes formés avec ces outils et un monde du travail encore peu numérisé. Ces jeunes entrent dans un monde professionnel qui n’a pas encore totalement intégré ces évolutions. Ils ont étudié et appris avec l’IA, mais se retrouvent face à des organisations qui fonctionnent encore selon des pratiques anciennes. Ce décalage culturel est source de difficultés.
Samuel Galtié :
À cela s’ajoutent évidemment des problématiques plus classiques : l’apparition de troubles ou de crises qui nécessitent une prise en charge rapide. Ces aspects, même s’ils sont plus « anciens » n’en sont pas moins importants à prendre en charge.
La crise Covid a souvent été présentée comme un tournant. Était ce réellement un phénomène inédit ou le simple révélateur d’un malaise déjà présent chez les jeunes ?
Denis Mathieu :
Le passage à l’âge adulte est toujours un moment délicat. Mais la pandémie a eu un effet particulier : les adultes, habituellement figures de référence, ont eux-mêmes perdu leurs certitudes. Les jeunes n’avaient plus ce socle auquel se confronter ou se conformer. De plus, pour ceux qui ont commencé leurs études supérieures en pleine période de confinement, les premières années – normalement essentielles pour construire un réseau social et professionnel – se sont déroulées de manière appauvrie, à distance.
Les jeunes constituent ils un public plus facile, plus difficile ou simplement différent à accompagner ?
Denis Mathieu :
Ils sont différents. Pour les accompagner, nos outils traditionnels ne suffisent plus. Les jeunes veulent être acteurs de leur parcours : il s’agit davantage de négocier et de contractualiser les objectifs de soins. On ne peut pas parler de défiance, mais la confiance n’est plus acquise d’emblée.
Cela n’empêche pas le recours à certaines approches « classiques » qui restent efficaces, comme le théâtre ou la réalisation de journaux. Ces approches restent pertinentes parce qu’elles stimulent expression et créativité. Mais clairement, la spécificité de cette génération, c’est l’importance de la co-construction.
Samuel Galtié :
C’est aussi pourquoi nous développons des dispositifs spécifiques : regroupements entre jeunes, recours aux pairs aidants ou aux médiateurs de santé. Ces leviers, parce qu’ils apparaissent plus horizontaux en termes de génération, favorisent l’adhésion aux soins et renforcent la place du patient en le remettant au centre du dispositif.
Le champ de la santé mentale des jeunes est-il un levier d’innovation ?
Samuel Galtié :
Oui, sans aucun doute. L’innovation touche plusieurs domaines : les outils numériques, bien sûr, mais aussi l’organisation des soins et l’émergence de nouveaux métiers.
Denis Mathieu :
L’innovation technologique reste lente en santé mentale, mais elle progresse, sous l’impulsion des jeunes. Ils sont habitués à partager leurs données et acceptent plus facilement l’usage d’outils connectés.
Mais l’innovation est aussi organisationnelle : autrefois, les hôpitaux de jour accueillaient les patients cinq jours par semaine ; désormais, les jeunes préfèrent des prises en charge plus ciblées, quelques demi-journées seulement, parfois en soirée ou le week-end. Enfin, de nouveaux axes se développent, comme le rôle du sport dans la santé mentale, dont les bénéfices psychiques sont avérés.
Le Groupe VYV a fait de la santé mentale un de ses axes forts. Quelle est l’originalité de son approche ?
Samuel Galtié :
D’abord, nous avons su développer des offres spécifiques adaptées aux jeunes, ce qui était important pour mieux diversifier la palette de nos réponses en fonction des publics et des problématiques. Ensuite, il est important de souligner que notre force réside dans une vision transversale de la thématique : prévention, accès aux soins et accompagnement. Enfin, nous intégrons la santé mentale dans des enjeux plus larges ; c’est notamment le cas de la prévention en entreprise.
Denis Mathieu :
Nous agissons aussi directement sur l’environnement : enseignants, logement, cadre de vie… Ces déterminants influencent directement la santé mentale des jeunes. C’est l’avantage d’un groupe capable d’intervenir bien au-delà du soin strict.
Quelles évolutions voit-on poindre pour demain en santé mentale ?
Denis Mathieu :
Nous entrons dans l’ère de la psychiatrie de précision. Grâce aux objets connectés, de nouveaux biomarqueurs apparaissent : sommeil, rythme cardiaque, taux d’oxygène, etc. Cela va transformer notre manière de diagnostiquer et de soigner en nous offrant davantage de points de repères. A ce titre, on peut dire qu’une psychiatrie personnalisée est en train de naître.
Samuel Galtié :
Il faut aussi progresser sur l’acceptation et la visibilité de la santé mentale. La déstigmatisation reste un enjeu majeur, tant dans la société que dans les entreprises, et le Groupe s’y investit pleinement.