Pour quelles raisons avez-vous décidé de présenter votre candidature à la présidence d’ESS France ?
Nous avons fait de l’ESS un axe prioritaire de notre stratégie. Je suis convaincu que les grands acteurs de l’ESS doivent s’impliquer davantage dans la coopération avec les autres structures de l’ESS, et dans l’aide à la structuration du mouvement. Enfin, nous sommes dans une période historique qui, je le crois, peut être un véritable « moment de l’ESS ». Les acteurs de l’ESS sont extrêmement pertinents pour répondre à certains enjeux, comme le grand âge, la petite enfance, mais aussi la question des biens communs. La société « post- Covid » a de nouvelles attentes sur ces sujets, et nous devons montrer que nous pouvons y répondre. Je crois qu’ il y a une véritable opportunité pour l’ESS, pour incarner un modèle économique au service d’un projet de société.
Quelles sont les trois actions prioritaires que vous souhaitez mener à la présidence d’ESS France ?
Si je peux ajouter une autre priorité, je voudrais pousser un cri de colère sur la manière dont sont traitées les structures associatives. Depuis plusieurs années, les associations sont maltraitées dans notre pays, on réduit les libertés associatives, on ne considère pas les associations comme des acteurs économiques alors que leurs actions sont essentielles, on réduit leurs subventions. Depuis 2005, la part des subventions dans le budget des associations a été réduite de près de 40 %. Je regrette l’esprit de concorde qui prévalait en 2001 lors du centenaire de la loi de 1901 sur les associations. Il y a un urgent à refonder un nouveau contrat de confiance entre les associations et l’Etat.
Pourquoi, selon vous, l’ESS a-t-elle du mal à s’imposer comme la norme de l’économie, alors qu’elle a de nombreux atouts pour faire face aux crises actuelles ?
Cela s’explique par le fait que l’ESS est une façon d’entreprendre, et non une filière économique. Pour que l’ESS se développe vraiment, il faut qu’elle occupe une place majeure dans les filières liées au bien commun , qui sont en train de s’hyper-financiariser : le grand âge, la petite enfance, l’énergie, l’eau… Il nous faut raisonner davantage sur une logique de filières économiques.
Par ailleurs, nous ne faisons pas assez corps entre acteurs de l’ESS. Il faut que les structures de l’ESS de toutes tailles coopèrent davantage ensemble. Il faut développer un « réflexe ESS » entre nous. Enfin, comme je l’ai dit précédemment, nous ne donnons pas assez de moyens aux territoires. Il faut renforcer le statut des Cress et leur donner plus de moyens, pour développer l’ESS sur les territoires. Il faut aussi davantage financer les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) : actuellement ils sont soutenus financièrement les deux ou trois premières années, mais on sait qu’il faut plus de temps pour consolider un modèle économique, quel que soit le type de structure.
10 ans après la loi de 2014 sur l’ESS, estimez vous que cette loi a atteint tous ses objectifs ?
Comme le soulignait l’avis du Conseil supérieur de l’ESS sur le sujet, c’est une très bonne loi, mais elle n’a pas été accompagnée de suffisamment de moyens pour permettre un vrai développement de l’ESS. Par ailleurs, depuis 2014, d’autres lois, comme la loi Pacte qui crée les sociétés à mission, ont bousculé ses attendus. Il faut tenir compte de ces évolutions pour actualiser la loi de 2014 en fonction.
Pour vous, l’ESS doit-elle affirmer un positionnement politique ? Quelles relations envisagez-vous notamment avec le gouvernement si vous êtes élu à la présidence d’ESS France ?
ESS France ne doit pas se transformer en structure partisane. L’ESS est un mouvement porté par des acteurs de la société civile. Le président d’ESS France doit représenter cette société civile, et structurer un collectif qui représente la diversité des structures de l’ESS. Ce ne doit pas être un président qui prend la lumière seul, mais qui s’appuie sur une équipe comportant plusieurs porte-parole.
Le président d’ESS France n’a pas vocation à être un ministre bis de l’ESS, mais un représentant de la société civile, un militant issu de l’ESS, un interlocuteur exigeant, mais respectueux du dialogue avec les pouvoirs publics. Il doit se faire la caisse de résonance des acteurs de l’ESS.
Je rappelle que certaines régions ne prévoient toujours pas de stratégie de développement de l’ESS alors que cela est théoriquement obligatoire depuis la loi de 2014. Si nous politisons à outrance le mouvement, comment parviendra-t-on à convaincre ces régions de le faire ? Il nous faut aussi mettre en place un partenariat avec l’Association des régions de France (ARF).
Bien sûr, chacun d’entre nous est attentif à ce qui pourrait arriver avec l’élection présidentielle de 2027. Mais le rôle et la place d’ESS France sont de porter un projet de société, de représenter les intérêts d’une communauté d’acteurs de la société civile. Pour cela, il faut certes créer des rapports de force avec les pouvoirs publics, mais il faut aussi dialoguer avec eux, rechercher le compromis, la co-construction.
Quelle vision avez-vous d’ESS France et de sa place dans l’écosystème de l’ESS, aux côtés d’acteurs comme l’Udes, Impact France, Le Labo de l’ESS… ? L’outil ESS France est-il selon vous à la hauteur des enjeux ou faut-il le faire évoluer ?
ESS France n’est pas seulement là pour représenter les différentes familles de l’ESS. C’est un lieu pour échanger, coconstruire des idées. Par conséquent, je crois qu’ESS France doit devenir un Parlement des acteurs de l’ESS.
La République de l’ESS, lancée par Jérôme Saddier, l’actuel président d’ESS France, a permis d’affirmer les valeurs de l’ESS et son projet de société. Il nous faut maintenant devenir un lieu de convergence, de débat, d’orientation, pour l’ensemble des structures de l’ESS. Il ne s’agit pas de changer les statuts d’ESS France mais de penser un mode de fonctionnement différent et une ouverture plus grande à notre environnement. Cela implique d’associer à nos réflexions des structures non membres d’ESS France, notamment des think tanks comme le Labo de l’ESS ou le Ciriec, mais aussi les chercheurs qui travaillent sur l’ESS.
Nous pourrions mettre en place un programme thématique de travail sur deux ans, comme cela est fait au Conseil économique, social et environnemental (Cese), pour mener des réflexions en commun.
Je crois notamment qu’il nous faut travailler sur des indicateurs différenciants pour l’ESS , permettant de mesurer son utilité sociale ou son impact, selon la dénomination qu’on préfère utiliser. Il existe aujourd’hui des indicateurs épars, comme l’Impact score mis en place par Impact France, Valor’ESS de l’Udes ou encore les travaux menés par l’Avise, la Fonda et le Labo de l’ESS. Un Parlement des acteurs de l’ESS aurait permis d’en débattre et de trouver des compromis. Nous devons aussi mener tous ensemble le combat de la reconnaissance des métiers du soin, qui concerne toutes les familles de l’ESS. Actuellement chaque tête de réseau porte son propre plaidoyer. Or il faut que nous portions ce combat collectivement.
Propos recueillis par Camille Dorival