Interview de Stéphane Junique – Libération
Au moment où le gouvernement est désireux de publier des décrets pour doubler le plafond des franchises sur les soins et les médicaments, ou encore de restreindre l’accès à l’aide médicale d’Etat (AME) pour les étrangers en situation irrégulière, Stéphane Junique président du Groupe VYV, (qui regroupe notamment Harmonie Mutuelle et la MGEN et couvre 11 millions de personnes avec 11,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires) critique ces mesures et en évalue les conséquences.
L’auteur de la Santé est un combat (le Cherche-Midi) plaide pour une meilleure organisation de la santé, qui mette en avant la prévention et une plus grande efficacité du système de soins, plutôt que des économies au coup par coup. Le gouvernement envisage des mesures d’économies dans les dépenses de santé en prenant des décrets, sans même passer par un débat parlementaire et un vote. Comment jugez-vous la méthode ? Cette actualité démontre que le politique a abandonné une vision de la santé comme projet de transformation de la société. Le sujet de l’accès au soin est passé au second plan au profit d’une logique financière et budgétaire qui prend le dessus. Ça ne fonde pas une politique de santé. Notre modèle en la matière a besoin d’investir dans une nouvelle organisation du suivi des pathologies chroniques, de faire en sorte que la culture de la prévention soit renforcée dans notre pays.
Il est important de ne pas envoyer un message anxiogène alors que l’on a besoin de rendre les métiers du soin et de l’accompagnement attractifs. Nous sommes revenus à des solutions comptables qui ne nous permettent pas d’appréhender nos enjeux de santé pour demain. Vingt-cinq millions de Français sont aujourd’hui atteints de maladies chroniques, elles représentent les deux tiers de la dépense totale de santé et les trois quarts de sa progression annuelle.
Salaires : le gouvernement compte poursuivre la réduction des allègements de cotisations en 2026. Quelles en sont les conséquences financières ?
Le mauvais accompagnement de ces maladies chroniques pèse aujourd’hui sur des hospitalisations qui pourraient être évitées. Ce qui coûte à notre système de santé entre un et deux milliards d’euros si on intègre les transports sanitaires.
Quid du projet de doublement des franchises de médicament qui restent à la charge des assurés ?
J’ai une forte inquiétude sur cette mesure. Si la disposition annoncée par le gouvernement va à son terme, le montant des franchises aura été multiplié par quatre depuis 2018. L’effet de responsabilisation de ces franchises, souvent mis en avant, se heurte à la situation des ménages. Pour ceux qui sont aisés, elle sera accessoire. Pour les ménages dont le budget est contraint, cette mesure amènera à des renoncements importants et préjudiciables pour la santé. L’Institut de recherche sur les évolutions des dépenses de santé a
démontré en 2010 que pour les publics les plus fragiles, les malades chroniques, il y avait un retard démontré dans l’achat de médicaments.
Les franchises de soins ne peuvent pas être remboursées par les mutuelles de santé.
Les grands laboratoires pharmaceutiques, dont nombre de produits sont remboursés par l’assurance maladie, affichent des résultats largement bénéficiaires. N’y a-t-il pas là une source d’économie ?
Je ne répondrai pas spécifiquement sur l’industrie pharmaceutique. Notre système de santé a besoin d’être repensé et nous avons besoin de la mobilisation de tous les acteurs.
Hôpitaux, pharmacies, taxis sanitaires : le monde de la santé se prépare au bras de fer avec le gouvernement Bayrou. Quels seraient les effets d’un durcissement des conditions d’accès à l’aide médicale d’Etat ?
J’ai apprécié le rapport de Claude Evin et Patrick Stefanini rendu sur ce sujet. Ils écrivent que l’aide médicale Etat répond, en premier lieu, à un principe éthique et humanitaire, mais aussi à un objectif de santé publique. Elle permet aussi de promouvoir la dignité humaine pour des personnes qui sont en vulnérabilité. L’AME n’est donc pas un outil de politique migratoire. Toutes les discriminations sociales pour des personnes en fragilité viennent abîmer la santé, qui est le premier des droits de l’homme.
La mise sous surveillance des médecins permet-elle de limiter l’augmentation des arrêts de travail et leur coût pour l’assurance maladie ?
Je n’aime pas que l’on stigmatise. Le système de santé doit reposer sur la confiance. Que l’on fasse des contrôles et des sanctions, ce n’est pas illégitime. Mais là , il s’agit de 500 médecins sur 100 000. Depuis sa création, la Sécurité sociale repose sur un contrat : donner l’assurance à chacun, qu’en toutes circonstances, il disposera de la garantie nécessaire pour assurer sa subsistance, celle de sa famille dans des conditions décentes grâce à la solidarité de tous. Il faut donc parvenir à éteindre la petite musique : pourquoi est-ce que je paie pour ceux qui fraudent ?
Les tarifs de cotisation aux mutuelles santé vont-ils augmenter ?
Il y a un impact sur un point qui n’a pas encore été abordé : l’idée gouvernementale d’une taxation des mutuelles afin de répondre au déficit de la Sécurité sociale. Elle pourrait être d’un milliard cette année, ce qui représente 130 millions de prélèvements pour le groupe Vyv. Elle pèsera obligatoirement sur les cotisations. C’est une TVA sur la santé. Nous serons amenés à la répercuter sur nos tarifs. En vingt ans la taxation des mutuelles a été multipliée par huit. Les contrats santé sont taxés à 14 % en moyenne en France, qu’en Italie ce n’est que 2,5 % et 0,15 % en Espagne. Or, le rôle des mutuelles n’est pas de collecter l’impôt pour le compte de l’Etat.
par Franck Bouaziz