Les élections auront lieu le 10 avril et deux autres candidats pour succéder à Jérôme Saddier(président du Crédit coopératif et à la tête d’ESS France depuis 2019) : Benoît Hamon, actuellement directeur général de l’ONG Singa, qui fut notamment ministre en charge du secteur et Damien Baldin, directeur général de la fondation La France s’engage. Dans cet entretien, le vice-président de la Mutualité Française revient sur ses motivations, sa vision de l’ESS et ses projets.
Pourquoi êtes-vous candidat à la présidence d’ESS France ?
Je suis candidat pour développer et conforter le modèle d’entreprendre défendu par l’ESS, les innovations et les solutions d’avenir portées chaque jour dans les territoires par les entreprises et les acteurs du mouvement, les femmes et les hommes qui s’engagent pour faire vivre la citoyenneté et les solidarités. Je considère que notre pays vit un moment clé de son histoire. Plus encore qu’hier, l’ESS doit s’affirmer avec force comme un pôle d’espérance et d’actions pour accompagner les transformations et transitions qui sont au cœur de notre société. L’ESS préserve certains secteurs d’activité de la financiarisation à laquelle ils sont confrontés. Le modèle de non-lucrativité des associations, fondations, coopératives, mutuelles protège de la course
effrénée aux profits qui s’impose, notamment dans les secteurs de la petite enfance ou du grand âge.
L’ESS est créatrice d’emplois. Ces deux dernières années, ce sont près de 100 000 emplois qui ont été créés dans les territoires. Ces emplois se développent, en particulier, sur des filières d’avenir notamment pour réussir la transition écologique juste.
Ce sont ces raisons qui me motivent. Je crois que nous sommes dans un moment ESS. Je veux m’engager pour la défendre et porter davantage ce qui est fait par le mouvement, afin que notre pays soit beaucoup plus conscient et fier de l’apport de l’ESS pour notre société mais surtout qu’elle est le modèle d’entreprendre de demain.
Quelle est la place de la mutualité au sein de l’ESS ?
Les mutuelles de santé et d’assurance représentent 620 entreprises de l’ESS. Ce sont près de 8 300 établissements employeurs (soit 4% des structures employeuses de l’ESS), et 140 000 emplois portés par des mutuelles (plus de 5% de l’emploi de l’ESS). Le mouvement mutualiste joue un rôle structurant au regard des combats en faveur des protections, de l’accès aux soins et à la santé pour toutes et tous. Notre rôle est, aussi, d’être au carrefour des coopérations que nous pouvons mener dans les territoires pour permettre aux
projets d’aboutir et aux investissements d’aller jusqu’au bout. Aujourd’hui, le Groupe VYV travaille à sa contribution dans l’accompagnement des projets territoriaux visant à expérimenter des modèles de Sécurité sociale alimentaire. Le tour de France que nous avons organisé pour identifier les belles initiatives en cours
est venu illustrer l’importance de construire des stratégies d’alliances avec acteurs de l’ESS qui sont fortement mobilisés sur ce sujet. Dans mon livre « L’égalité (im)possible ? Manifeste pour une solidarité active », publié en 2018, je portais déjà cette idée d’alliance des acteurs de l’ESS. C’est bien ce que je porte dans le cadre de ma candidature et mon projet pour ESS France.
Comment percevez-vous la feuille de route du gouvernement, pré‐
sentée à l’automne dernier ?
Le contenu de cette feuille de route est ambitieux et va dans le bon sens. Certains axes représentent des avancées importantes comme le soutien au développement des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) ou l’accompagnement de la transformation de certaines entreprises de statuts classiques en structures de l’ESS. Il est désormais nécessaire de passer des intentions de cette feuille de route aux actes. Je pense en particulier sur l’importance de conforter la place et le rôle déterminant des chambres régionales
de l’ESS (CRESS). Or, les moyens financiers ne sont pas à la hauteur. Les 2,5 Ms € consacrés aux PTCE sont à comparer aux 9 Ms € octroyés chaque année aux pôles de compétitivité. Au moment où l’Espagne a lancé un plan de 80 Ms € en faveur de l’ESS, nos crédits ne s’élèvent qu’à hauteur de 19 Ms €. Pire encore, sur le plan de 10 Mds € d’économies annoncé par le gouvernement, plus de 2 Mds concernent des structures de l’ESS. Je lance une alerte sur la situation dramatique pour nos associations. Depuis 2005, la part des subventions dans le budget des associations a été réduite de 40%. Or, soutenir les associations, c’est soutenir des projets qui engagent les citoyens et citoyennes dans une cause pour l’intérêt général. Soutenir les associations, c’est
donner aux 20 millions de bénévoles une capacité d’agir pour revitaliser les territoires et garantir la participation de toutes et tous. Soutenir une association, c’est soutenir un engagement profondément républicain. Il y a urgence à prendre conscience du danger que représente l’abandon des associations pour notre société. Ce sera le 1er combat que je porterai en tant que Président d’ESS en soutien au mouvement associatif.
Quelles seraient vos autres premières actions et chantiers priori‐
taires en tant que président d’ESS France ?
Je défends trois convictions. La première est que nous devons travailler sur le contenu une loi de programmation de l’ESS permettant, 10 ans après la loi Hamon, de fonder une véritable politique de l’ESS autour des axes suivants : le renforcement des politiques locales de l’ESS ; la consolidation des dispositifs de soutien à l’ESS autour du renforcement des SPASER, le financement de la finance solidaire, le soutien aux monnaies locales ; le déploiement d’une stratégie d’innovation sociale en lien avec la planification écologique autour de la mise en place d’un crédit d’impôt “innovation sociale” au même titre que le crédit d’impôt recherche ; la création d’un fonds de conversion des entreprises privées vers le modèle de l’ESS. Cette loi de programmation a pour vocation de projeter l’ESS dans les 10 ans qui viennent.
Ma seconde conviction est la nécessité de conforter la coopération territoriale. Plus on développera l’ESS, plus on développera les emplois et une croissance conciliant les intérêts économiques, sociaux et écologiques. Nos emplois ne sont pas délocalisables, la dynamique repose donc sur la vitalité des territoires.
Enfin, ma troisième conviction est l’affirmation d’une diplomatie de l’ESS. La France accueillera en 2025 le Forum mondial de l’ESS à Bordeaux, un temps fort où notre pays et les acteurs du mouvement ESS sont attendus pour témoigner de l’importance de ce modèle d’entreprendre, et pour s’assurer de son déploiement avec nos partenaires européens et internationaux. Il y a un enjeu d’influence, mais également de diplomatie économique à conforter.
Propos recueillis par Emilie Guédé