Loi Handicap 2005 : 20 ans après

Conçue avec une forte implication des acteurs associatifs et institutionnels, elle portait une ambition forte : bâtir une société plus inclusive en garantissant l’accessibilité aux lieux publics, aux transports, à l’éducation et à l’emploi.
Parmi ses engagements phares figuraient la mise en accessibilité des établissements recevant du public dans un délai de dix ans, l’amélioration de l’accompagnement médico-social et la reconnaissance d’un droit à la compensation du handicap, permettant un meilleur accès aux aides techniques et humaines nécessaires à l’autonomie des personnes concernées. Si ces avancées ont permis de réels progrès en matière d’accessibilité et d’inclusion, le bilan reste en demi-teinte. Vingt ans plus tard, l’effectivité de ces droits et les réalités vécues par les personnes déficientes visuelles restent marquées par des inégalités persistantes : 11,4% des enfants déficients visuels sont encore privés d’une solution de scolarisation, 50 % des adultes déficients visuels sont au chômage, et seuls 10 % des sites internet leur sont accessibles. L’accès à la culture reste également limité, avec à peine 6 % des livres adaptés et 4 % des programmes télévisés audio-décrits. Ces inégalités, enracinées dans des lacunes structurelles et institutionnelles, font de la déficience visuelle un problème systémique qui exige une action collective et coordonnée pour être résolu.
Aujourd’hui, 1,7 million de personnes en France sont concernées par des troubles visuels, dont 207 000 aveugles et 932 000 malvoyants moyens. Avec le vieillissement de la population, les pathologies comme le glaucome et la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) se multiplient, menaçant l’autonomie de milliers de personnes : 50% des plus de 60 ans ne bénéficient pas d’une prise en charge adaptée pour ces pathologies. Parallèlement, les jeunes générations sont de plus en plus touchées par des troubles visuels, souvent liés à l’usage intensif des écrans. Une véritable « épidémie » de myopie est attendue dans les vingt prochaines années, tandis que les troubles auditifs précoces, autre déficience sensorielle, progressent aussi de manière inquiétante. Sans action rapide, ces évolutions entraîneront non seulement un coût important pour notre système de santé – un “énorme fardeau financier à l’échelle mondiale” selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) – mais aussi une multiplication des risques de chutes, d’isolement social et de maladies neuroévolutives pour les personnes concernées.
Pourtant, des solutions existent et ont déjà montré leur efficacité. Le dépistage précoce est un levier essentiel pour limiter les impacts du handicap sensoriel. Trop d’enfants passent encore à travers les mailles du filet, notamment dans les milieux défavorisés où l’accès à la santé est plus difficile. Détecter des troubles comme l’amblyopie dès l’âge de trois ans, voire plus précocement, permettrait pourtant d’éviter des conséquences irréversibles, avec des taux de guérison atteignant 90 % en cas de prise en charge avant deux ans. Certaines initiatives locales, comme le dépistage en crèche ainsi que les opérations de prévention scolaire, sont des pistes prometteuses qui devraient être généralisées à l’échelle nationale. L’accompagnement médico-social joue aussi un rôle clé. Plutôt que de multiplier les dispositifs complexes, des solutions de terrain comme les unités mobiles, qui se déplacent au plus près des populations, apportent des réponses concrètes en optique, ainsi qu’en audition, notamment en zones rurales ou en établissements. Leur déploiement à plus grande échelle permettrait de réduire les inégalités d’accès aux soins et d’éviter l’aggravation de nombreuses situations de perte d’autonomie.
Mais pour que ces solutions portent pleinement leurs fruits, un engagement plus fort de l’État et de l’ensemble des acteurs est indispensable. Il est urgent de mettre en place une véritable politique de prévention, en ciblant à la fois les plus jeunes et les personnes âgées. Cela passe par des campagnes de sensibilisation auprès des familles et des professionnels de la petite enfance, mais aussi par une facilitation et un renforcement des interventions en EHPAD et au domicile des seniors, dès lors qu’ils ne peuvent se déplacer dans les centres spécialisés.
Ces efforts, loin d’être un coût, constituent un investissement essentiel pour répondre aux engagements de la loi Handicap de 2005. En garantissant une meilleure accessibilité, notamment à la santé, en réduisant les inégalités face aux dispositifs et en luttant contre l’isolement, il est possible de concrétiser les principes d’égalité des droits et des chances. Ne nous contentons pas des dispositions actuelles et de leur effectivité partielle, accélérons pour davantage d’accessibilité.
Anne-Marie Lemessager, Directrice nationale Handicap VYV 3