« Nous avons vocation à devenir un acteur de l’alimentation »

Interrogé cet été par le magazine AEF info autour de l’idée de "sécurité sociale alimentaire", le président de VYV, Stéphane Junique, exprimait son intérêt sur cette question. Dans ce nouvel entretien, Stéphane Junique explique plus en détail pourquoi les mutuelles sont légitimes à s’emparer des questions d’alimentation.
« Nous avons vocation à devenir un acteur de l’alimentation »
Date de publication : 26 juillet 2024

 

 

AEF info : Lors d’une récente présentation du bilan des actions de votre groupe (lire sur AEF info), vous avez élargi votre propos aux enjeux liés à l’alimentation. Pouvez-vous expliquer comment vous en êtes arrivé à cette réflexion sur ces questions d’alimentation, et pourquoi votre groupe, construit historiquement autour de mutuelles santé, serait légitime sur ces sujets ?

 

Stéphane Junique : Depuis sa création, le groupe VYV a été pensé comme un groupe devant être capable de contribuer aux enjeux de santé, ce d’abord par le biais de la dimension assurantielle, mais plus encore en tant qu’acteur de santé à part entière. Nous sommes un groupe qui, de par ses multiples dimensions, a non seulement la capacité d’influer sur les enjeux nationaux, mais aussi de prendre en compte les enjeux territoriaux de santé. Cette seconde optique nous permet de promouvoir des solutions concrètes et immédiates, tout en créant un tissu de partenariats avec les acteurs locaux – qu’il s’agisse des professionnels de santé ou des collectivités territoriales. C’est cette volonté de peser sur les enjeux de santé qui nous a amenés à nous interroger sur la question de l’alimentation. Je constate qu’il y a eu une prise de conscience sur ce sujet : de très nombreuses études prouvent désormais qu’une bonne alimentation est un déterminant de santé majeur de la santé humaine. Pourtant, près de 17 % des adultes en France souffrent d’obésité, un facteur de risque majeur de maladies chroniques. Plusieurs études ont 1 d’ailleurs objectivé le coût social et économique d’une mauvaise alimentation. L’Inserm estime ainsi que les problèmes de mauvaise alimentation et de sédentarité engendrent près de 20 Md€ de dé‐ penses supplémentaires pour notre système de santé chaque an‐ née. Une alimentation saine est donc un levier majeur en termes de prévention santé, notamment pour réduire certaines maladies chroniques en forte croissance dans notre pays. Pour le groupe VYV, qui entend agir sur l’ensemble des déterminants de santé, il n’est donc pas envisageable d’ignorer cette dimension. Il faut investir le champ de l’alimentation. C’est une nécessité, mais c’est aussi une opportunité d’approfondir notre stratégie de partenariats avec les acteurs locaux.

 

« Une bonne alimentation est un déterminant de santé majeur de la santé humaine ».

 

AEF info : Comment entendez vous concrétiser cette volonté d’investissement sur les questions d’alimentation ?

 

Stéphane Junique : Nous avons lancé, depuis un peu plus d’un an, toute une initiative autour des enjeux liés à l’innovation en santé. À cette occasion, le groupe est allé à l’écoute des acteurs de terrain dans toute la France. Durant ces rencontres, la question de l’alimentation est spontanément remontée comme un enjeu très important pour les acteurs locaux. Ce qui nous a poussés à lancer un premier appel à projet dédié aux enjeux d’alimentation – en partenariat avec une vingtaine d’acteurs, dont la Croix-Rouge française. Nous avons identifié plusieurs centaines de projets et en avons retenu une vingtaine pour un accompagnement s’étalant sur trois ans. Il s’agit de projets ancrés dans les territoires. Par exemple, sur une centaine de logements Arcade-VYV, nous expérimentons la mise en place d’une centrale d’achat alimentaire qui puisse permettre aux habitants de ces logements sociaux d’accéder à une alimentation bio et locale, le tout à des prix accessibles.

C’est un bon exemple qui montre que ces enjeux de prévention et d’alimentation recoupent aussi des problèmes d’inégalités sociales. Un autre exemple : le programme lancé dans certaines crèches du groupe implantées en Pays de la Loire. L’objectif est d’intégrer les derniers enseignements en matière d’alimentation et de tout faire pour lutter contre le risque de malnutrition durant les 1 000 premiers jours de l’enfant. Nous proposons donc des entretiens et conseils nutritionnels aux familles, tout en leur fournissant, le cas échéant, un soutien financier pour acheter des aliments de qualité. C’est une sorte de chèque alimentaire pour permettre d’améliorer la santé à un moment de la vie particulièrement déterminant pour la suite. Si cette expérimentation est concluante, nous généraliserons cette avancée à l’ensemble de nos crèches. Enfin, un dernier exemple pour illustrer cette diversité des projets que nous accompagnons. En Bretagne, nous avons créé un partenariat avec certains producteurs agricoles, engagés dans le programme Terres de Sources qui protège les ressources en eau, pour alimenter en circuits courts nos établissements du médico-social.  L’objectif est là encore de permettre d’améliorer la qualité de l’alimentation, cette fois-ci en direction des plus âgés en Ehpad. C’est très important car la qualité de l’alimentation joue sur le risque de dénutrition, lui-même lié au risque de perte d’autonomie.

 

AEF info : Dans le monde de l’entreprise, où il est difficile d’avancer de manière efficace sur les questions de prévention santé, l’alimentation vous semble-t-elle être aussi un levier efficace ? Et à l’instar des enjeux sur l’activité physique, est-il possible d’après vous, d’aller au-delà des simples recommandations de bonnes pratiques et d’avoir une influence vraiment déterminante sur les comportements, via par exemple des partenariats avec des cantines d’entreprise ou via d’autres leviers ?

 

Stéphane Junique : Nous n’en sommes pas encore là à ce stade. Mais la question de l’alimentation chez les actifs est clairement un champ important pour nous. Nous avons mis en place un cercle de réflexion sur la prévention santé en entreprise, réunissant des représentants des organisations syndicales et patronales. Le sujet de l’alimentation fait justement partie des derniers sujets que nous avons évoqués. Je constate que l’alimentation, à la différence d’autres risques professionnels, est un sujet a priori plus consensuel. Mais on reste pour l’heure sur une logique de sensibilisation et d’information des salariés. Un gros travail reste aussi à faire avec les branches professionnelles.

 

Trouver des solutions concrètes : l’esprit du mutualisme

 

AEF info : Les précédentes initiatives que vous avez citées en sont au stade de l’expérimentation. Est-il trop tôt pour envisager une extension plus globale ? Lors de votre récente intervention devant la presse, vous aviez pourtant évoqué l’hypothèse d’une « sécurité sociale alimentaire », qui implique l’idée d’une possible évolution systémique. Est-il possible d’après vous d’esquisser les contours d’une telle évolution du système de protection social français ?

 

Stéphane Junique : Nous avons aujourd’hui près de 8 millions de Français qui souffrent de précarité alimentaire. On le voit bien, si louable soit l’engagement des milliers de bénévoles, le modèle d’aide alimentaire est débordé tant les besoins explosent. Il a atteint ses limites. Il faut donc réinventer un système qui prenne en considération de manière nouvelle la question de l’accès à une alimentation de qualité. Face à cette situation, un certain nombre d’associations porte depuis plusieurs années cette idée d’une « sécurité sociale alimentaire ». Nous regardons avec intérêt et curiosité ces propositions. On ne peut pas rester spectateur alors que la pérennité de notre modèle alimentaire apparaît de moins en moins garantie. Face à de telles demandes émanant de la société, l’esprit du mutualisme a toujours été d’essayer de trouver des solutions concrètes pour répondre aux besoins des populations.

Cela étant, il y a un vrai débat actuellement sur le contenu qu’on entend assigner à cette idée de sécurité sociale alimentaire. Est-ce que cela implique une approche uniquement prestataire – c’est-à-dire fournir par exemple un chèque alimentaire — ou au contraire, entend on aller vers un projet territorial plus complet ? C’est-à-dire, dans ce cas organiser une filière allant d’un travail avec les agriculteurs d’un territoire à la mise en place de circuits de distribution. La question n’est alors plus simplement une question de financement mais de réaménagement des territoires dans le cadre d’un projet territorial de long terme. C’est cette seconde approche intégrative que nous privilégions. Mais pour répondre à votre question initiale, non, nous ne sommes pas mûrs en France aujourd’hui pour envisager la création d’un système global. D’où l’importance de multiplier des expérimentations locales très différentes pour tirer des enseignements et éprouver les différentes pistes possibles avant toute application à plus grande échelle.

 

AEF info : Pour jouer sur les différents déterminants de santé, votre groupe peut déjà s’appuyer sur ses multiples établissements et services de santé qui composent sa propre offre de soins. Pour dresser un parallèle sur la question de l’alimentation, allez-vous donc également investir ce sujet par le biais de l’offre, c’est-à-dire directement par le biais de la production agricole ? Allez-vous chercher de nouveaux partenaires dans cette optique, notamment du côté des Scop ?

 

Stéphane Junique : Clairement, nous avons vocation à devenir un acteur de l’alimentation dans les années qui viennent. Le groupe VYV est déjà est un acteur significatif de l’investissement social dans notre pays. Nous avons la capacité de contribuer à l’émergence de filières de productions à travers des logiques de partenariats territoriaux. Sur la question de l’alimentation, nous avons notamment signé un partenariat central avec le groupe UP pour avancer sur la mise en place de projets concrets. Permettez moi de reprendre un autre exemple de nos projets actuels : en Bourgogne, VYV 3, en partenariat avec une collectivité locale, a mis à disposition un terrain vierge de 4 hectares pour permettre le développement d’une agriculture de proximité devant à terme nourrir de 6 000 à 10 000 habitants dijonnais. Nous avons aussi impliqué un de nos Esat pour contribuer à la production sur ce nouveau terrain agricole. Il s’agit d’investir pour garantir la santé de demain. En investissant sur ces enjeux de production agricole, nous répondons à un enjeu majeur sur les déterminants de santé. Nous répondons aussi à des enjeux sociaux et territoriaux. Cela contribue à mieux intégrer la question de l’alimentation dans une logique plus globale d’aménagement du territoire, à créer des circuits plus solides pour une alimentation de qualité. En tant que mutualiste, nous avons 4 toute notre place. C’est aussi et enfin une manière d’avancer sur les enjeux de santé environnementale – un autre enjeu majeur pour nous – en ayant une action concrète sur les écosystèmes locaux.

 

AEF info : Si l’objectif à terme est de dépasser le stade de l’expérimentation pour aller vers des dispositifs plus globaux, ne faudrait-il pas impliquer également la FNMF pour signer des accords plus systémiques avec certains acteurs, comme l’AMF par exemple ?

 

 Stéphane Junique : Vous avez raison, la Mutualité aura un rôle à jouer à un moment ou un autre sur ces sujets. Mais pour réaliser des avancées, il faut d’abord que des opérateurs s’engagent concrètement et que les partenariats qui pourraient être signés aient une substance. Il nous faut donc agir à tous les niveaux de manière complémentaire. Dans cette optique, nous partageons dès maintenant nos enseignements avec le mouvement mutualiste. Toutes nos actions ont vocation à nourrir la réflexion au niveau du mouvement mutualiste.

 

 

Propos recueillis par Grégoire Faney

Retour en haut de page