La prévoyance pour tous, fantasme
ou réalité ? (1/2)

Pour que soient identifiées des réponses concrètes et crédibles, un débat est nécessaire car les points de vue sont parfois éloignés. Afin d’initier cette démarche constructive, nous avons questionné quelques acteurs issus du Parlement, des mondes de l’entreprise, des syndicats et de la recherche.
La prévoyance pour tous, fantasmeou réalité ? (1/2)

Une assurance dépendance obligatoire 

Catherine Deroche, sénatrice, président de la commission des Affaires sociales

Sur quels points principaux organiser le débat de l’imprévoyance ?

Plusieurs déterminants sont à traiter. Ceux relatifs à la demande sont à la fois les moins faciles à modifier et ceux dont il faut avoir une vision aussi précise que possible. Il y a ensuite la crainte de cotiser à fonds perdus qui légitime d’encourager les mécanismes d’épargne plutôt que d’assurance du risque. Enfin le coût, qui reste trop élevé pour beaucoup. Dans certains cas, comme celui de la dépendance, quand le risque ne concerne qu’une part limitée d’une classe d’âge, pour des montants élevés, cela plaide pour une couverture obligatoire et pose la question de la solidarisation. Le débat doit porter enfin sur l’offre assurantielle – très hétérogène et qui manque de lisibilité – et sur son organisation. En outre, les produits existants sont majoritairement adossés à un contrat collectif, assurant la mutualisation des risques et servant une garantie annuelle et forfaitaire. Les tentatives visant à étendre l’assurance privée à des produits capitalisés et individuels n’ont, à ce stade, pas abouti.

Quelles solutions pressentez-vous ?

Pour la dépendance liée à l’âge, la commission des Affaires sociales du Sénat a pris position en faveur d’une assurance dépendance obligatoire, fonctionnant par répartition. Elle pourrait être publique, donc intégrée au système de sécurité sociale, ou bien privée. Le rapport de Laurent Vachey a fait plusieurs propositions, par exemple une meilleure labellisation des contrats pour améliorer l’information des assurés, de préciser l’âge minimal de souscription pour éviter la sélection médicale, de garantir le versement d’un montant minimum ou d’un socle minimal de services, de prévoir une attention particulière aux aidants. Des produits complémentaires compensant la perte de revenus des aidants sont à envisager. Compte tenu de la situation des finances publiques et des perspectives de vieillissement de la population, un financement mixte sera vraisemblablement nécessaire pour couvrir intégralement le risque dépendance.

Et pour les enfants souffrant de handicap ?

Le problème ne se pose pas dans les mêmes termes que pour la dépendance : le risque n’est pas de même nature, et a vocation à être couvert par la solidarité nationale. L’inclusion est clef. Il y a un grand défaut de places dans les établissements, et d’accompagnants en milieu ordinaire. En outre, il faut penser l’inclusion tout au long de la vie. Un important travail est à accomplir d’un point de vue administratif afin d’apporter de la continuité dans les prises en charge afin que les bénéficiaires et leurs familles gagnent en simplicité, en visibilité et en prévisibilité.

Qu’attendre du projet de loi dit Grand Âge et Autonomie ?

Je crains que nous ne voyions pas d’ici la fin de l’année un grand texte en la matière. Le projet annoncé bute sur son financement, dont la structuration n’est pas faite. Trois actions seraient à engager néanmoins : accélérer l’adaptation des logements ; soutenir le secteur de l’aide à domicile, par la revalorisation des formations et des carrières ; enfin, se doter d’une véritable politique de prévention de la perte d’autonomie.

Un ANI sur la prévoyance

Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale, en charge de la protection sociale, CFDT

Sur quels points principaux organiser le débat de l’imprévoyance ?

Un débat permettrait de voir les très fortes inégalités qui existent entre les Français en la matière, selon qu’ils soient salariés, fonctionnaires, « slasheurs », cadres ou non cadres. Même quand une couverture existe, il est rare qu’ils soient couverts sur les cinq risques principaux. C’est une question de justice fondamentale qui implique de l’intégrer à l’agenda social. Il faut ensuite pouvoir débattre du type et du niveau à retenir pour organiser cette prévoyance lourde. Les enjeux financiers sont importants, sur des durées longues. Il y a donc un vrai besoin de mutualisation et sans négociation collective, il est impossible d’atteindre un haut niveau de protection. Concernant les personnes handicapées, environ 80 % le sont devenues au cours de leur vie, et parmi elles une forte part liée au travail (accident ou impact de l’activité dans l’entreprise). Aborder ces sujets avec les entreprises, au niveau des branches fait donc sens. Un accord sur la santé au travail a été négocié. Il faudrait en faire de même pour la prévoyance lourde. L’entreprise impacte les personnes et la vie des personnes impacte l’entreprise. Nous serions collectivement gagnants à traiter tout cela en amont, dans des prérogatives et responsabilités qui sont à définir ensemble.

 Quelles solutions pressentez-vous ?

Les couvertures principales, notamment en matière de décès, le versement de rentes, doivent être généralisées. Il n’y a pas lieu de faire de différence entre cadres et non cadres. Par ailleurs, des systèmes d’accompagnement sont à installer afin d’aller au-delà d’une approche purement financière. Dans les moments de rupture, il faut éviter que les personnes concernées ne sombrent. En outre, les droits dont chacun bénéficie sont encore souvent mal connus, comme la portabilité des droits. En matière d’handicap affectant des enfants, l’État a une responsabilité très forte qui conduit à une universalisation de la prise en charge. Enfin, pour l’aidance, les solutions sont à imaginer garantissant à chacun la faculté de choisir, valorisant les carrières des professionnels de ce secteur et donnant aux aidants bénévoles des moyens adaptés.

Comment améliorer la prise en charge de la prévoyance en entreprise ?

En procédant à la généralisation des garanties. En liant prévention et réparation. Cela se passe souvent dans l’entreprise, par l’organisation du travail, son adaptation au plus près de la réalité. C’est pour cela que les branches sont clés. Un drame qui touche un salarié ou un dirigeant, affecte le collectif de travail. Certaines branches patronales, comme dans la boulangerie par exemple, poussent d’ailleurs à la mutualisation et à la mise en oeuvre d’accords de couverture et de prévoyance. L’anticipation est une condition d’efficacité et de bien-être pour tous, y compris pour l’entreprise.

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