La prévoyance pour tous, fantasme
ou réalité ? (2/2)

Pour que soient identifiées des réponses concrètes et crédibles, un débat est nécessaire car les points de vue sont parfois éloignés. Afin d’initier cette démarche constructive, nous avons questionné quelques acteurs issus du Parlement, des mondes de l’entreprise, des syndicats et de la recherche.
La prévoyance pour tous, fantasmeou réalité ? (2/2)

Un socle dépendance financé par l’impôt

Eric Chevée, vice-président, chargé des affaires sociales, CPME

Sur quels points principaux organiser le débat afin de réduire l’imprévoyance des Français ?

Il y a d’abord la question de la responsabilité de la gestion de cette prévoyance. Les risques relevant de la vie de chacun, sans lien avec le monde du travail, ne sauraient être gérés par les partenaires sociaux. Nous tenons donc à remettre dans l’agenda social du gouvernement la question de la redéfinition de la protection sociale en France. Autre point, le coût de la prévoyance. Notre approche est simple : ce qui relève de la solidarité doit être financé par l’impôt et ce qui touche à l’entreprise passe par les cotisations. Le débat doit enfin permettre une prise de conscience pour que chacun, individuellement ou collectivement, puisse s’assurer face à ces risques. Nous sommes favorables à l’installation d’un socle d’assurance dépendance financé par l’impôt qui puisse prendre en compte des situations particulières, (extrêmement dégradées), qui sont parfois dramatiques.

Quelles solutions pressentez-vous ?

Il est indispensable d’utiliser l’épargne comme moyen d’augmenter la prévoyance de chaque Français. C’est un paradoxe qu’il soit plus évident d’assurer son logement ou sa voiture que de s’assurer pour faire face aux risques de handicap, d’incapacité ou de dépendance. Nous avons à accomplir une révolution culturelle collective afin d’impacter le comportement de chacun.

Comment améliorer la prise en charge de la prévoyance en entreprise ?

Je ne pense pas que la voie à prendre soit celle d’un nouveau régime obligatoire. Pour nous, la dépendance n’est pas strictement un sujet d’entreprise. Nous devons nous occuper de ce qui nous regarde : les relations sociales dans l’entreprise, la négociation interprofessionnelle. Nous pouvons néanmoins avoir un avis. En revanche, l’entreprise est un projet collectif. Et même dans ce cadre, les Français sont très généreux et solidaires quand on les sollicite. Face au handicap ou à la dépendance, la bonté peut se manifester par des dons de jours de congés, par exemple. Les employeurs aussi, très majoritairement humanistes, sont soucieux de trouver des solutions. Il faudrait déjà s’assurer que d’un point de vue règlementaire, social, fiscal, les initiatives généreuses ne deviennent pas des sources de risque pour les entreprises.

Un besoin de « care »

Anne-Marie Guillemard, professeur émérite, Université de Paris et EHESS

Comment expliquer le retard français en matière de prévoyance et de dépendance ?

Il s’explique en grande partie par la perception que nous avons de ce qu’est la dépendance et que nous lions systématiquement à l’âge. Pourtant, moins de 25 % environ des personnes de 80 ans et plus sont dépendantes. Or, seules la France et la Belgique ont instauré une limite d’âge à la prise en charge de la perte d’autonomie. Dans les autres pays, ce sont les soins de longue durée qui sont pris en charge, soit par une assurance santé spécifique, soit par l’assurance maladie. En outre, nous n’avons pour ainsi dire pas de politique d’autonomie véritable, qui intègrerait un volet de prévention. Dans tous les cas, en dépit de quelques progrès en 2015, les aidants sont aussi mal pris en compte.

Quel exemple étranger vous semble être inspirant afin de nourrir le débat en France ?

L’exemple japonais, avec une assurance soins longue durée intitulée « socialisation du care ». Elle y est obligatoire et universelle pour les plus de 40 ans et englobe le sanitaire et le social. Ce système est équilibré financièrement. Ses ressources sont issues du produit des impôts, des cotisations sociales et des contributions individuelles pour les hauts revenus. Les opérateurs en sont les municipalités, au plus près des bénéficiaires. Elles établissent des plans sur trois ans et veillent à la qualité des services et infrastructures. L’État joue un rôle d’animateur et de coordonnateur. Il encadre les prix, contribue à la viabilisation des marchés (50 % des opérateurs sont privés), valorise les carrières, ce qui contribue à la qualité des soins. Enfin, les principaux concernés ont un choix très large parmi les prestations proposées, exclusivement en nature. On n’y voit pas l’allongement de la vie uniquement comme un coût, mais aussi comme une source d’opportunités qu’il faut optimiser.

Généraliser face aux inégalités

Catherine Touvrey, directrice générale Harmonie Mutuelle, directrice assurance et protection financière Groupe VYV

Comment améliorer la prévoyance dans le monde professionnel ?

Nous savons tous à quel point la sécurisation des parcours de carrière est un enjeu pour chacun et toute sa famille. C’est pourquoi chaque salarié – privé ou public – devrait être protégé par des garanties prévoyance, en cas d’arrêt de travail, d’invalidité ou un capital en cas de décès. Cet enjeu de protection sociale implique des négociations entre employeurs et partenaires sociaux et nous appelons de nos vœux une généralisation de la prévoyance. Les chemins sont différents. Pour les salariés du privé, il s’agit d’étendre la couverture, aux dernières catégories de salariés non couverts (une part des salariés non cadres, les CDD, temps partiels, etc.). Dans le public, la réforme en cours de la protection sociale complémentaire devrait améliorer la couverture santé, mais nous regrettons qu’aucune obligation de participation ne soit fixée pour la prévoyance pour les agents des fonctions publiques d’État et hospitalière.

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