Le poids de l’imprévoyance pour chacun (1/2)

La généralisation de la complémentaire santé masque une réalité contrastée : les risques majeurs sont souvent occultés. Mal informés, les Français sont dépendants de la couverture proposée ou non par leur employeur. Salarié ou travailleur non salarié, fonctionnaire, chômeur, comment sont-ils couverts ? Et comment mieux les accompagner lorsqu'un coup dur bouleverse leur vie ou celle d'un proche ?
Le poids de l’imprévoyance pour chacun (1/2)

Les parents n’ont pas à être des soignants

Odile Maurin, présidente de l’association Handi Social

Comment expliquer l’imprévoyance ?

D’abord, c’est ne pas vouloir s’imaginer en situation de handicap. Mais c’est aussi le résultat de la politique du handicap menée en France, qui facilite l’oubli de ces personnes. On ne confronte pas la population à des personnes qui sont porteuses d’incapacité ou de déficiences, on préfère les cacher dans les institutions, en les privant de la possibilité de s’éduquer et de s’autonomiser. L’environnement et l’organisation ne sont pas adaptés à tous.

Comment mieux accompagner les parents d’enfants handicapés ?

Il faut que l’on ait un système performant de dépistage et de prise en charge éducative précoce. Pour l’autisme, par exemple, c’est ce que fait l’association Gautena au Pays basque espagnol. Depuis 30 ans, elle est chargée de l’inclusion des autistes tout au long de leur vie : du diagnostic à l’aide à la maison, de la scolarisation à l’école ordinaire jusqu’à l’insertion professionnelle. Et ainsi les familles peuvent pleinement jouer leur rôle de parents. Il ne faut pas transformer les parents en soignants et en aidants professionnels. En France, aujourd’hui, soit vous mettez votre enfant dans une institution – ce qui ne permet pas de l’autonomiser – soit vous disposez de moyens financiers importants pour trouver des alternatives. Un enfant d’ouvrier a sept fois plus de probabilité d’entrer dans une institution qu’un enfant de cadre ou de profession libérale.

Comment la société pourrait-elle mieux intégrer ces personnes ?

Là encore, le modèle dont il faut s’inspirer est à l’étranger. Au sein de JAG – coopérative suédoise de parents et d’adultes polyhandicapés – l’accompagnement au quotidien est organisé avec les adhérents, qui choisissent eux-mêmes leurs assistants personnels. Au-delà de répondre à leurs seuls besoins, tout le dispositif est pensé pour permettre une vie enrichissante et une véritable inclusion dans la société suédoise. Concrètement, ce système est rendu possible par l’existence de l’Assistance personnelle, allocation octroyée par les autorités suédoises qui permet aux personnes de vivre dans des logements indépendants tout en ayant une assistance personnelle 24h/24 et un représentant légal disponible.

On est aidant par la force des choses

Claudie Kulak, présidente de l’association La Compagnie des Aidants

Pourquoi les salariés sont-ils inégalement couverts ?

Certaines entreprises considèrent que cela relève strictement du cadre personnel. D’autres refusent un prélèvement supplémentaire sur la fiche de paie sous prétexte que le salarié est déjà très sollicité.

 Quels sont les besoins des aidants actifs ?

Il y a un besoin d’information, de répit, de soutien et d’écoute. D’abord, il faudrait mieux indemniser le congé du proche aidant. Avec de 43 à 52 €/jour, les salariés préfèrent encore prendre des arrêts maladie. Il faut savoir qu’en moyenne 226 km séparent l’aidant de son proche, ce qui représente un coût. Ensuite, il faut plus de télétravail. À l’avenir, l’hospitalisation à domicile sera la norme, ce qui fera reposer sur les aidants une charge supplémentaire. Enfin, il faut absolument développer la coordination autour du proche fragilisé : sortie d’hospitalisation, services à la personne, accueil de jour, tout cela devrait être géré par un « care manager ». Cela permettrait de libérer du temps à l’aidant, qui doit rester un aimant avant tout. Parce qu’on ne cherche pas être aidant. On l’est par la force des choses et par amour. Aujourd’hui, tout ce qui est mis en place concerne la fin de vie, la grande dépendance. Mais la réalité, c’est que notre vie peut basculer à tout moment. Un jour, on vous annonce que votre fils a eu un accident de scooter ou que votre mari a fait un AVC. C’est à partir de là que les aidants, démunis face à de telles situations, ont besoin d’être orientés pour mettre en place les solutions appropriées et solliciter les bons services.

L’accident de vie est tabou pour un dirigeant

Olivier Torres, université PMiste et fondateur de l’Observatoire Amorok

Comment le TNS appréhende-t-il la question de la prévoyance ?

La prévoyance est aux antipodes de la psychologie du dirigeant. Il est dans l’action, on leur parle incapacité ; il est dans la maîtrise de son destin, on lui parle dépendance ou décès. Lorsque l’on évoque le risque en TPE-PME, la santé du dirigeant est rarement abordée. Et plus l’entreprise est petite, plus son équilibre est lié à celui de son dirigeant. C’est pourquoi l’imprévoyance peut avoir des conséquences dramatiques, et conduire au dépôt de bilan. Ce qui n’est pas le cas pour une entreprise de taille plus importante. C’est ce que l’on appelle l’effet de grossissement. Paradoxalement, peu de dirigeants de TPE-PME connaissent l’assurance homme-clé.

Lorsqu’une entreprise se trouve en défaillance, comment aider le dirigeant ?

On aide les entrepreneurs à la création mais pas à la liquidation. La question de la difficulté est éludée, et pour le premier concerné, c’est un tabou. Des dirigeants peuvent se retrouver en grande détresse psychologique, seuls face à leurs difficultés. Il faut pouvoir leur apporter une assistance juridique à temps afin d’éviter, par exemple, le dépôt de bilan, les orienter éventuellement vers le mandat ad hoc ou le redressement judiciaire. Et puis, bien sûr, leur apporter un soutien psychologique et les aider à rebondir.

Bien s’informer est plus qu’essentiel

Pierre Garnodier, secrétaire général Comité national des travailleurs privés d’emploi et précaires de la CGT

Comment mieux informer les chômeurs sur leurs droits à la portabilité ?

Pour bénéficier de la portabilité pendant 12 mois maximum, il faut au préalable que des droits aient été ouverts au sein de l’entreprise. Et souvent, les contractuels n’ont pas accès à la complémentaire, ou seulement à condition d’avoir passé un certain nombre de mois dans l’entreprise. Et quand on sait que 50% des contrats ont une durée inférieure à 7 jours, cela ajoute à la précarité. Donc soit il y a un défaut d’information, soit il y a une discrimination, parfois liée à la nature même du contrat. Ainsi très peu de chômeurs sont couverts par une prévoyance et cela ne va pas s’arranger avec la réforme de l’assurance chômage. Pour bénéficier de la portabilité, il faut non seulement avoir ouvert des droits en entreprise, mais également être indemnisé au titre de l’assurance chômage. À partir du 1er avril 2021, les conditions pour toucher le chômage vont se durcir. Il faudra avoir travaillé 6 mois au cours des 24 derniers mois. Cela va très certainement réduire encore le nombre de chômeurs couverts par une complémentaire.

Quelles sont les voies d’amélioration ?

D’abord, nous militons pour une portabilité universelle. Ensuite, il faudrait améliorer l’accès à l’information. En cas d’invalidité de catégorie 2, par exemple, il peut y avoir une procédure de licenciement et certaines complémentaires complètent la pension d’invalidité pour maintenir quasiment le salaire antérieur, et ce, jusqu’au départ à la retraite. Mais pour en bénéficier, il ne faut pas être inscrit à Pôle emploi.

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